L’amitié : un besoin biologique pour les enfants et les adolescents

Après avoir exercé comme psychologue praticien, Pascal Mallet enseigne désormais la psychologie du développement à l’université Paris 10 Nanterre. Il a publié en 2015 chez Armand Colin un ouvrage intitulé « L’amitié entre enfants ou adolescents, une force pour grandir », un thème sur lequel il revient avec nous.

 

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’amitié ?

De plus en plus de chercheurs travaillent, depuis les années 80, sur le rôle de l’amitié dans le développement de l’enfant. Etrangement, il n’y avait pas de livres en France sur ce sujet, alors que c’est un thème très enseigné en Grande Bretagne, au même titre que la famille, par exemple. Tout manuel anglais sur le développement comporte au moins 1 ou 2 chapitres sur l’amitié, ce qui m’a décidé à écrire là-dessus. En France, on a tendance à s’intéresser à la relation avec les pairs uniquement quand elle pose problème, comme le harcèlement scolaire, alors que l’amitié est extrêmement importante !

Vous dites que c’est une possibilité et même une nécessité chez les enfants ?

Oui, par exemple, si vous ouvrez un livre pour enfants, vous vous apercevrez que l’amitié joue un rôle moteur dans les histoires. C’est l’un des thèmes importants. Cette importance, tous les parents l’accordent… sauf quand l’enfant doit déménager ou changer de classe, par exemple. On a tendance à dire que ce n’est pas grave, que l’enfant se refera d’autres amis – justement parce que l’amitié c’est important ! On ne se rend pas compte que c’est un choix, une relation élective, entre deux enfants spécifiques. Et qu’entretenir de telles relations n’est pas un luxe, mais satisfait un besoin biologique.

Les enfants ne se font pas des amis naturellement ?

Lorsqu’on part en vacances, on se dit que les enfants se feront des amis à peine arrivés, pour peu qu’il y ait des enfants du même âge ou presque. Or, ils pourront bien sûr fréquenter d’autres enfants, jouer ensemble au foot ou au basket, sans pour autant devenir des amis. Dès l’âge de la crèche, les amis se choisissent, il y a entre eux une relation de confiance et une compréhension mutuelle qu’il n’y a pas avec les autres enfants, même s’ils s’entendent très bien.

Mais sur les réseaux sociaux…

Sur les réseaux, le but est que tout le monde soit ami avec tout le monde, mais il n’est pas possible de choisir 500 amis et de leur consacrer du temps ! De plus, l’amitié ne consiste pas à se faire valoir publiquement et les philosophes, depuis l’Antiquité, ont insisté sur son caractère gratuit et désintéressé. On n’en attend rien en retour, même si on peut observer qu’elle procure de nombreux avantages : grâce à son ou ses amis, un enfant se sentira par exemple plus à l’aise dans un groupe, moins isolé et plus respecté, grâce à un système d’alliances qui se met en place.

A l’adolescence, l’amitié prend une tournure particulière ?

A cet âge, on se met à construire un système de pensée pour rendre compte de la façon dont on perçoit le monde. Cet univers, on l’édifie avec ses amis et tout est d’abord partagé par ce petit groupe de pairs. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’on se choisit d’abord en fonction de ce que l’on partage : les mêmes valeurs, les mêmes goûts vestimentaires, musicaux, sportifs… Et ensuite, dans un second temps, on s’influence mutuellement.

Cela vaut pour les « petites frappes », comme pour les « premiers de la classe », qui peuvent se soutenir mutuellement dans leur travail : cela devient alors un rouage formidable, qu’il faudrait mieux prendre en compte. Par exemple, à l’école, plutôt que de séparer les amis, au prétexte qu’ils pourraient perturber le cours, mieux vaudrait s’appuyer sur eux pour composer les classes… Les parents ne pensent pas souvent, non plus, à emmener les amis en vacances, ou à les envoyer ensemble, en séjours.

Lorsqu’on a des amis, tout va bien… mais si l’on n’en a pas ?

Lorsqu’on rencontre un enfant, en tant que psychologue, on se soucie d’abord de ce qui se passe en famille, mais il ne faut pas négliger sa relation avec ses pairs : a-t-il, dans sa classe, au moins une relation d’amitié, solide, qui compte pour lui ? Un ami dont il se sent proche, qui le comprenne et le soutienne ? Avoir un ami, c’est essentiel. Des bons amis, on en a généralement 2 ou 3. C’est ce qui importe, pour voir si l’enfant va bien.

A contrario, bien s’entendre avec tout le monde sans avoir au moins un ami, cela doit attirer l’attention des adultes qui s’occupent de lui. L’enfant passe beaucoup de temps à l’école et c’est un milieu stressant. Avoir un ami, c’est se sentir estimé, aimé, valorisé, protégé. Sinon il peut en être malheureux. Une absence d’amis est en soi un problème à régler, en commençant par chercher à comprendre pourquoi.

Quels sont les enfants qui se feront des amis en vacances ?

Tout dépend comment ils sont « outillés » psychologiquement. Ceux qui, tout au long de l’année, ont des amis et qui sont bien appréciés, ont de fortes chances de bien se débrouiller dans un groupe inconnu… mais pas un enfant qui n’est pas très aimé. Car le plus souvent lorsqu’on n’a pas d’ami, c’est qu’on ne fait pas ce qu’il faut pour : on est taciturne, anxieux, on n’ose pas entrer dans les activités. Ou bien, on est perturbateur, on n’arrive pas à respecter les règles, à prendre en considération le point de vue et le désir des autres.

Cela risque de se répéter en vacances. L’enfant ne changeant pas tout seul, mieux vaut l’aider avant, en tant que parent, enseignant, éducateur… avec l’aide d’un psychologue si on le souhaite. Ce peut-être aussi en lui proposant une activité sportive, artistique, musicale etc.  où il pourra révéler de « nouvelles manières d’être ».

De « nouvelles manières d’être », comment cela ?

Le contexte est important. Dans son réseau social habituel, l’enfant a un rôle à jouer : s’il est réputé être perturbateur ou timide, par exemple, on attendra qu’il joue ce rôle-là dans le petit théâtre qu’est l’école. C’est assez figé, d’autant que les autres font tout pour éviter que cela ne change.

Partir en vacances peut marquer une rupture : dans un groupe inconnu (colonies, séjours linguistiques…), l’enfant pourra se libérer de ses habitudes et initier de nouveaux rôles qu’il n’aurait pas pu explorer autrement. C’est la grande qualité des colonies de vacances et l’on n’en parle pas assez ! A distance de son quotidien, de sa famille, de ses amis, il pourra se renouveler, se comporter différemment… et par là prendre confiance en lui.

Que dire aux enfants qui ont peur de ne pas se faire d’amis en colo ?

La réalité : qu’ils retrouveront leurs amis de classe à la fin des vacances, et qu’en colonie, ils se feront sans doute de bons copains, avec lesquels ils partageront des activités et passeront de bons moments ! Cela ne sera pas tout à fait pareil, il ne faut pas avoir en tête que les amis sont interchangeables. Et puis c’est normal que l’autre nous manque, sinon, est-ce qu’on l’aimerait vraiment ?

Et ces copains de vacances, avec lesquels ils s’entendront bien, s’ils ont envie de les revoir, les parents pourront les inviter et les emmener les uns chez les autres, afin de poursuivre ces relations.

Quel rôle pour les parents, justement ?

Le parent est là pour valoriser les relations d’amitié de ses enfants, que l’on ne peut pas, de toute façon, choisir à leur place. Dire « tu sais bien choisir tes amis », c’est important, cela donne confiance à l’enfant, c’est un sacré compliment ! Bien sûr, on peut expliquer pourquoi on préfère en avoir certains que d’autres chez soi (par exemple ceux qui ne mettent pas le bazar).

Ce qui est important c’est d’en parler ensemble, par exemple, en les questionnant le soir : comment s’est passée la journée, avec qui ils ont joué, s’ils ont eu de bons moments à la cantine…. En les aidant à analyser ce qu’il s’est passé (dispute…). Pareil au retour de vacances. Ce n’est pas être intrusif, mais marquer de l’intérêt pour son enfant.

 

Agnès Morel