Avec Internet, les jeunes voyagent « au figuré » et manquent de voyages « pour de vrai »

Le Dr Xavier Pommereau est Chef du Pôle Aquitain de l’Adolescent au CHU de Bordeaux. Il est l’auteur des ouvrages Ados en vrille, mères en vrac (Albin Michel, 2010) et dernièrement : Le Gout du risque à l’adolescence (2016).

 

Lorsqu’on a un ado « pas facile », peut-on lui proposer de partir, sans nous, en vacances ?

Bien sûr ! C’est un sujet dont les parents viennent me parler. Ils ne savent pas quoi faire… Ce qu’il faut avoir en tête c’est que les ados n’aiment pas partir avec leurs parents… car cela peut entrainer mille tensions, pour de menus détails, comme le refus, par exemple, de donner leur permission si leur enfant souhaite sortir le soir. Entre parents et adolescents, il y a souvent un décalage. Quand on est parent, on ne perçoit pas suffisamment les attentes de ses enfants et l’on ne sait jamais trop où l’ado en est. On a toujours tendance à les prendre pour plus jeunes qu’ils ne sont en réalité.

Donc, les ados seraient plutôt partants ?

Oui, ce qu’ils souhaitent, c’est partir avec d’autres personnes que leurs parents, proches, amis, animateurs… à condition d’avoir une certaine marge de liberté. Pour être bien accepté, le séjour proposé ne doit surtout pas ressembler à une période d’école supplémentaire. De l’anglais trop intensif, si on n’en a pas parlé au préalable : c’est non.  Impossible de lui dire : « tu pars à Manchester, on t’a trouvé une famille, elle est très gentille… »

« Vacances », cela vient du latin « vacans », c’est à dire « libre », « vacant ». Les vacances, c’est fait pour ne rien faire, se reposer, rompre avec le reste de l’année. Mieux vaut donc éviter que les contraintes ne priment sur le plaisir ! Les jeunes ont soif d’aventure, comme partir faire du rafting ou de l’accrobranche dans les Pyrénées. Les langues, pour cette nouvelle génération, c’est vraiment indispensable, mais pour les améliorer, mieux vaut proposer un cadre plaisant et ludique. Comme par exemple des vacances aux Etats-Unis, qui mêlent cours et découverte du pays. L’astuce, c’est de trouver des compromis.

Partir, c’est toujours bénéfique ?

Oui ! « Les voyages forment la jeunesse », c’est un adage qui reste vrai aujourd’hui, d’autant que les ados passent beaucoup de temps sur Internet. Et Internet, c’est un voyage numérique, un voyage « au figuré ». Les jeunes manquent de voyages pour de vrai. Beaucoup ne voyagent pas au sens propre. Ils sont éventuellement allés en Espagne ou en Italie, mais par rapport à la génération précédente, cela reste très pauvre.

Cette génération est sans doute plus casanière. Et puis, on leur complique les choses. Si des jeunes bordelais souhaitent camper avec des amis sur la côte, leurs parents leur demandent des garanties : dans quel camping, avec quel accompagnateur, etc. Et même le responsable du camping ne les acceptera pas. Et pourtant c’est tellement important ! Je voulais intitulé mon dernier livre : « Va voir là-bas, si j’y suis ».

Ce qui est important, c’est d’aller se frotter aux différences : côtoyer d’autres semblables, des gens qui ne mangent pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous, qui ne vivent pas comme nous… Pour les ados, cela permet de relativiser, de faire la paix avec soi-même et d’accepter ses propres différences. C’est tout l’enjeu. Car l’adolescence, c’est passer d’un statut d’enfant à celui d’adulte, avec un corps, une mentalité, des pulsions qui changent. S’accepter, c’est très compliqué : quand on est ado, on se cherche et on a du mal à se trouver. Et justement, toutes les nouvelles rencontres permettent de se positionner.

Cela permet de relativiser ?

Oui, c’est pareil pour les langues. Lorsqu’un adulte explique au jeune que cela vaut le coup de travailler cette matière, il ne sera pas forcément entendu. Mais si le jeune s’en rend compte sur le terrain, de lui-même, c’est différent. S’il ne réussit pas à parler, ni à se faire comprendre, il sera très embêté, notamment s’il est dans un pays anglo-saxon, comme les Etats Unis, où il a peu de chances de croiser quelqu’un qui parle français. Il ne se dira plus qu’il n’en a pas besoin.

Pareil, quand on est parti voir ailleurs, on revient mieux. Il y a de l’inconfort dans la différence : changer d’environnement, d’horaires, de cuisine, c’est éprouvant. Alors qu’il nous paraissait insupportable, au retour, le cocon familial paraît calme et tranquille, on le revoit différemment. Et l’on est content de retrouver ses marques, ses proches. Les relations s’en trouvent apaisées.

Agnès Morel

Photo : Copyright : © Julie Rey

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